S'il est un outil qui symbolise à lui seul le typographe au plomb, c'est bien le composteur. Il fait partie de son saint-jean (ses outils personnels), composé des pinces, de la pointe, du visorium... et de lui. En notre époque de retour au naturel, au sain, au « vert » sans OGM, qu'on se garde bien de confondre cet indispensable composteur avec le récipient homonyme que l'on remplit de déchets végétaux aux fins de les faire pourrir pour obtenir une terre riche. On remplit aussi le composteur du typographe, mais avec du plomb toxique et polluant qui ne pourrit pas – heureusement – mais qui, par opération alchimique, va se transmuter en l'or de la parole écrite (oui, elle est bien d'or, la parole, quoiqu'en puisse dire un stupide proverbe qui vante les mérites du silence, ce couard).
À quoi, au juste, le composteur sert-il ? À former les lignes du texte en y assemblant un à un les lettres chiffres, signes et espaces. C'est un outil creux que l'on règle en longueur pour déterminer la dimension maximale des lignes de texte: la justification. Ensuite de quoi, après y avoir inséré verticalement une interligne de bonne longueur, les lettres et signes sont pris les uns après les autres dans la casse et placés tête en bas dans le composteur pour former les mots du texte.
Comme on le constate aisément, le composteur n'a pas une forme unique et immuable. À l'instar des individus qui s'en servent (des autres aussi), il revêt des apparences très différentes. Son aspect varie suivant l'usage auquel on le destine ou suivant les goûts du typo qui l'utilise. La photographie ci-dessus le prouve assez. Le composteur peut être étroit ou large, long ou court, à vis ou à levier, en fer, en maillechort ou en aluminium, à réglage automatique ou non.
Composteurs en fer. Ils ont le désagrément de rouiller assez facilement. Le très large et très court en haut à droite est un composteur anglais trouvé avec bonheur il y a plus de vingt ans sur une brocante. C'est une bénédiction dès qu'on a des textes assez long à composer sur des justifications raisonnables. On gagne du temps en le vidant moins souvent. Il permet également de repérer – et donc d'éliminer – plus facilement les lézardes qui naîtraient dans le texte.
Le composteur à levier (4e ligne en partant du haut) est un cadeau de l'ami Robert Niclaus qui fut le chef d'atelier du dernier compositeur Monotype à façon de Paris, les ateliers Gerbaud, devenus Typo-Méca, 6, rue Arthur-Rozier, dans le 19e arrondissement. Il ne fonctionne plus, son levier est trop usé, il ne serre plus. Mais il est très précieux, sentimentalement parlant : Robert l'avait depuis ses 16 ans, c'est avec lui qu'il avait fait son apprentissage.
Sur la gauche, les composteurs en fer déjà vus. Sur la droite, des composteurs en maillechort. Leurs avantages ? ils ne rouillent pas et sont un peu plus légers que les composteurs en fer.
Les très longs composteurs servaient surtout à composer des tableaux de grandes dimensions. Mais il existait aussi (l'atelier n'en possède pas) des composteurs à multiples compartimentations qui permettaient d'obtenir plusieurs justifications de colonnes sur une même ligne pour composer le contenu des colonnes avec plus de précision.
Au fond, un composteur à réglage automatique. Les trous correspondent à un ergot de la partie mobile. Ils donnent une progression de cicero en cicero, ce que confirme la règle de contrôle gravée sur l'outil. Avec ce type de composteurs, le réglage de la justification est très précis et s'effectue en une fraction de seconde. L'inconvénient est qu'il ne permet pas de réglage sur des dimensions bâtardes.
Un composteur en aluminium. Son principal avantage est la légèreté mais il est plus fragile que les autres.
Composteurs en bois. Le composteur métallique est là pour donner l'échelle des autres. Les trois composteurs du bas sont des composteurs à affiches pour assembler des caractères en bois de grands corps. Les deux du bas ont une partie mobile pour régler la justification, comme sur les composteurs métalliques ; celui du haut est fixe et ne peut donc composer que sur une seule justification.
Lorsque Célestin Freinet imagina sa pédagogie nouvelle, il la fonda en partie sur la typographie, afin de donner aux enfants un moyen de réaliser eux-mêmes de petits journaux de classe. Il dut simplifier le matériel typographique pour le mettre à la portée des enfants. C'est ainsi qu'il revint aux sources de la typographie (en le sachant ? sans le savoir ?) quand il imagina des composteurs en bois (et à justification fixe). En voici trois. Son originalité consiste toutefois en ce qu'il imagina faire des composteurs pour les gauchers (en haut à droite) comme pour les droitiers (les deux à gauche). À notre connaissance, nul avant lui ne s'était préoccupé d'un tel détail. Les composteurs étaient fabriqués pour les droitiers, et les gauchers devaient s'accommoder de cet état de fait. Comme par ailleurs, à l'école ordinaire de la République, jusqu'à une époque encore récente, les gauchers étaient contrariés...
Un composteur en bois pour corrections. La composition terminée, relue et corrigée sur épreuves, on plaçait dans un composteur en bois les lettres nécessaires pour effectuer les corrections sur le plomb. On y plaçait, au fur et à mesure des corrections, les lettres ôtées de la composition dans le but de les ranger à nouveau dans la casse.
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