Jacques Abeille vient de disparaître. Le petit monde littéraire auquel je n'appartiens qu'à peine en est déjà prévenu par un long article paru dans le (grand) Monde. Le présent billet n'a pas la prétention d'être un commentaire de fond, seulement le jet de quelques mots qui ravivent certains souvenirs. Pas de nostalgie, seulement deux ou trois sourires un peu tristes (mais de vrais sourires) à l'évocation de quelques moments vécus ensemble. Je fus l'un des (presque nombreux) petits éditeurs qui publièrent des textes courts de Jacques Abeille. Tout comme Pierre Laudendeau (éditions Deleatur et directeur de collection chez Ginkgo) qui fut, lui, l'un des premiers et des plus fervents défenseurs de la littérature de Jacques, qui le publia et le republia à de nombreuses reprises.
Plus qu'un auteur (un peu éditeur) et deux éditeurs (écrivant également), nous étions trois amis. L'été 1993 nous nous sommes retrouvés à Chamonix pour encadrer un groupe de ses étudiants afin qu'ils accomplissent l'écriture collective d'un livre. Jacques veillait à la qualité du récit et à son style, Pierre s'occupait de la partie éditoriale et moi des illustrations à faire réaliser, de la typographie de la couverture et des boîtes qui allaient contenir le livre. À la lecture des premiers essais d'écriture de ses élèves, d'une pauvreté stylistique évidente, Jacques entra dans une colère noire. Puis, en reprenant certaines phrases à la volée, oralement, il les reformula, les remodela et en fit du Abeille... Ce fut la plus belle leçon de style qu'il me fut donné d'entendre. Hélas, elle ne fut pas enregistrée, hormis dans les mémoires des personnes présentes.
Complément à cette anecdote : quelques semaines plus tard, Emmanuel Canteloup, l'un des étudiants de Jacques, passa me voir dans mon atelier champenois. Ce fut pour nous deux l'occasion de réaliser un petit livre Nocturne dont j'étais l'auteur et lui l'illustrateur.
Pierre Laurendeau et moi avons eu l'insigne honneur de devenir des personnages (certes mineurs, mais tout de même !) du cycle des Contrées. Ce fut dans la nouvelle « Le notaire et le typographe » des Voyages du fils. Laurendeau sous la figure du notaire maître Pierre et moi sous celle du typographe Saturnin Lassicope. Le prénom du personnage s'explique de lui-même dans son rapport avec le plomb et le patronyme, dans une anecdote déjà relatée →ici.
Maître Pierre et Saturnin Lassicope, portraits de Michel Guérard, Les Voyages du fils, édition de Ginkgo.
Pendant longtemps Jacques Abeille n'a pas eu le succès littéraire qu'il méritait. Cette injustice a provoqué un billet d'humeur de Saturnin Lassicope que l'on peut encore lire →ici.
CLS & Saturnin Lassicope
Post-scriptum : À un courriel où je lui disais ma tristesse après avoir appris la mort de Jacques, Pierre m'a répondu : « Oui, la disparition de Jacques nous laisse un peu orphelins... » C'est très vrai. Mais soyons fiers tous les deux d'avoir été immortalisés dans son œuvre. Merci à Pierre, enfin, de m'avoir transmis nos portraits illustrant ce billet, alors que je me trouve éloigné de ma bibliothèque.
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