Après deux billets généralistes sur la Condition bipédique comme disait notre cher bafouilleur, confus et unique André Malral, on va en revenir à ce qui fait le cœur de nos compétences, la typographie.
Nous sommes tombés voici peu sur un étal de marchand de typo à la sauvette et ce que nous y avons vu nous a quelque peu révolté, en tant qu'amoureux platonique des bois de caractère et des caractères en bois. Ils étaient là, ces pauvres soldats d'une typographie en déroute, couchés en vrac, sans même qu'on ait pris le soin de les aligner correctement, inertes, morts... spectacle navrant, spectacle navrantissime. Peut-être avaient-ils été torturés, difficile de le dire, toujours est-il qu'ils avaient été passés par les armes, en témoignent les nombreux impacts de projectiles visibles sur leur corps (approximativement dix cicéros). Nus, pâles, privés de l'encre qui les habillait, leurs cadavres dérisoires s'affichent, sans affiche, sous nos yeux, dans leur criante inutilité.
Et les coupables de ce crime abject l'ont signé sans vergogne, en linéales blanches sur un fond bleu layette qui semble vouloir les absoudre du mal dont ils ne soupçonnent pas la gravité. Crime dont ils se glorifient avec une joie non feinte, celle de la victoire acquise succédant aux affres tumultueux du combat. Celui de l'immatériel contre la matière. Une bataille perdue, certes, pour ces pauvres gisants, mais est-ce bien la dernière ?
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