Parfois, on se dit que la vie vaut d'être vécue. On est sur son vélocipède, on peine un peu à cause de la légère montée et du vent latéral un peu pénible. On refuse d'avoir la tête dans son guidon, on refuse de lever son cul de la selle, question d'honneur, rester digne malgré la souffrance. Ça n'empêche pas de regarder autour de soi de manière un peu machinale, histoire d'éviter de se faire écraser une bouzine bien rempli par un repas quelque peu roboratif. Le chemin, on le connait par cœur, depuis le temps qu'on le pratique bihebdomadairement dans les deux sens, on ne s'attend pas à de l'inconnu, tout est déjà placé, classé, mémorisé dans ce tracé immuable qui relie, de manière non rectiligne, deux points dont l'un (hasard notable) est très précisément le point de départ et le second (nécessité première), le point d'arrivée. On est pressé car on est juste à l'heure. On se transporte, on ne se promène pas.
Tout à coup, l'impondérable, l'imprévu, le grain de sable heureux qui va arrêter la progression et permettre la découverte : de l'orange dans le champ de vision, de l'orange qui n'était pas présent la veille. De l'orange qui tisse la typo.
Deux jeunes filles en sont à l'origine. Deux jeunes Parques, heureusement sans la dernière. Coup de guidon irréfléchi pour monter sur le trottoir et venir dans l'instant les féliciter de leur heureuse entreprise.
Elles ne sont pas trop surprises par l'irruption. Elles ne se méprennent pas sur sa nature.
Félicitations et rapide entretien dans le souci de ne pas retarder l'œuvre en gestation. Redémarrage. La vitesse initiale réacquise, vinrent s'imposer en mémoire les questions qui ne furent pas posées : Comment se nomment-elles ? Sont-elles de jeunes artistes ? des étudiantes dans une école d'art ? Laquelle ?
Peu importe, finalement, qu'on obtienne les réponses ou non. L'œuvre est là, achevée.
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