Les livres, tout comme les humains – peut-être même plus qu'eux – sont des identités fragiles. Il suffit de bien peu pour qu'ils soient blessés. Le plus souvent, les blessures se font discrètes : les faux plis, les déchirures ou les coupures d'un feuillet, voire son arrachage sont peu visibles quand l'ouvrage est fermé. Pour les déceler, il faut lire ou ne serait-ce que feuilleter ou consulter le blessé. Oui, mais sur la couverture... Une jambe de bois se cache avec facilité sous le tissu du pantalon, il n'en est pas de même d'une balafre sur la joue. Sur la couverture, pas la peine d'insister, tout est irrémédiablement visible. Dans ces conditions, on se débrouille comme on peut. On répare la blessure le plus humainement possible, comme on a appris à le faire. On désinfecte et on met un sparadrap. Advienne que pourra. Guérira ou ne guérira pas...
Le plus souvent, le livre est discret. Il cache son mal pour servir le lecteur du mieux qu'il peut. Mais il arrive que la douleur soit si intense, si foudroyante qu'il ne peut la cacher. Alors il l'avoue avec honnêteté. Il ne dénonce personne car ce n'est pas son genre mais il avoue la blessure et il se fait soigner.
Le coup porté fut rude et l'entaille d'importance. Le sparadrap semble n'être là, à l'extérieur que pour cacher à l'autre le mal et éviter toute tentation de pitié. La pitié est malsaine et elle ne sert à rien.
Le temps seul peut arranger les choses. Au fil des pages, enrobé dans le lent et visqueux flot du feuilletage, l'œil du lecteur perçoit la guérison se faire jusqu'à la fermeture de la plaie et l'absence même de cicatrice.
C'est alors le soulagement. Un livre de sauvé. Ils ne le seront peut-être pas tous.
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