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Fourneau et Fornax
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Quand on est éditeur, petit ou grand, gros ou maigre, débutant ou confirmé, brun ou blond, jeune ou vieux, mâle ou femelle, dexio- ou aristéroscribe, il est patent et épatant de constater que certains auteurs s’imposent aussi naturellement qu’une verrue au bout du nez. Il en a été ainsi pour moi en 1980 avec Henri-Désiré Landru. Mon choix d’Éditions du Fourneau, trois ans auparavant, comme nom pour ma petite firme forçait un peu l’éclosion de cette verrue-là. Landru au Fourneau... ça s’imposait. Oui... mais que publier de lui ? Si sa célébrité était certaine et incontestable, elle n’était pas due au fait littéraire. Son carnet de notes ? Il y consignait tout jusqu’à l’achat de ses billets de train Paris-Gambais, deux allers, un retour... Peu enthousiasmant. De minutieuses recherches à la Bibliothèque nationale (pas encore de France) me permirent de découvrir un poème inédit. Maître Moro-Giafferi son défenseur en témoigne, à la prison de Versailles où il attendait d’être jugé, Landru aimait à lutiner Eutherpe et Erato entre deux visites mondaines ou les réponses à son courrier. Quel signe au port lointain me rendra pour jamais / Ma chaumière et mon cœur demeurés à Gambais ? Ainsi terminait-il le dizain retrouvé. Landru était un grand poète lyrique. On apprendra beaucoup plus tard, en 2001, lors de la publication de sa correspondance avec Jean-Baptiste Botul, qu’il était aussi l’un des maîtres de la mise en boîte.
Voilà. J’avais l’auteur, j’avais le texte... mais quid de l’édition ? Il ne fallait pas que je commette d’impair ni de faute de goût. Tout devait être parfait. Le format du livre, tout d’abord. Il fallait qu’il fût adapté. Je choisis donc une forme de couperet de guillotine. Élégant, sobre, raffiné. Les illustrations s’imposaient tout naturellement pour un beau livre. Quelle technique ? Le bois gravé ; le bois... de justice. L’artiste Michel Tabanou accepta d’officier. Il vint dans mon atelier à la campagne où je le séquestrais sans lui donner trop à manger pendant toute la durée du travail de gravure. Un artiste repu travaille toujours mal et dort beaucoup trop. Je le réexpédiai ensuite sur Paris par train. Un retour.
La possession de ce livre exceptionnel devait se mériter. J’imprimais à cent cinquante exemplaires, pas un de plus. Et le tirage, pour éviter la si redoutable faute de goût, fut privé d’exemplaires de tête. Il fut achevé le 25 août 1980.
Le travail sur ce livre me conduisit à m’intéresser à la chose judiciaire et à ses acteurs. Quelle pourtant ne fut pas ma surprise quand, feuilletant un hebdomadaire d’information à grand spectacle, je tombais sur une interview de Marcel Chevalier, exécuteur des hautes œuvres. Il y révélait que sa charge lui laissant de confortables moments de libres, il exerçait une autre profession : typographe. Il fut bien inspiré d’avoir appris un autre métier ; un an plus tard, en 1981, à cause de Badinter, il se retrouvait au chômage. Mais n’anticipons pas. Moi, apprenant cela, que pouvais-je faire d’autre que de lui dédier la réalisation du livre en confraternel hommage.
Exemplaire de l’éditeur dans une « reliure »
réalisée par ses soins.
L’histoire de ce livre devrait se terminer ici. Elle a un épilogue. Lors d’un repas familial, je montrais alentour ma dernière réalisation. Ma grand-mère, née en 1899, travaillait du temps de sa jeunesse à la TCRP, ancêtre de la RATP. Elle compostait les billets des voyageurs. Quand elle eut mon livre en main, elle nous confia qu’un jour elle avait composté le billet d’un barbu dégarni qu’elle avait trouvé fort charmant. Une semaine plus tard, elle voyait son portrait dans les journaux. Il avait été arrêté. Il s’appelait Landru. Interloqué, comme le reste de la famille qui ignorait l’histoire, je fis un rapide calcul. A l’époque, ma grand-mère n’avait pas encore mis ma mère au monde. C’était une très belle femme. Que se serait-il passé si... Mais je n’aurais pas été là pour vous raconter cette histoire...
Christian Laucou
[version illustrée et non écourtée du texte
paru dans Le Nouvel Attila n° 3, automne-hiver 2005]
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