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Un autre exemplaire de
Mes états d'âme ou les Sept Chrysalides de l'extase

C'est en 2008 qu'un ami libraire me prêta pour une journée un exemplaire de Mes états d'âme qu'il avait obtenu en consultation d'un de ses confrères. Précieux exemplaire malgré son état déplorable car il permettait une comparaison avec ceux déjà répertoriés (au nombre de trois, voire de quatre) et dont j'avais eu deux d'entre eux entre les mains. Le collègue de mon ami voulait trop cher de cet exemplaire, je n'ai pas voulu l'acquérir. J'ai appris que quelques temps après la restitution, il l'avait fait relier ce qui lui faisait perdre beaucoup d'intérêt à mes yeux et effaçait une bonne partie de mes regrets. Me restaient toutefois les photos que j'avais faites de l'exemplaire dans son état d'origine. Enfin... de l'état dans lequel il était parvenu jusqu'à nous.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire état de cette trouvaille ? Un peu pour laisser au libraire le soin de négocier son exemplaire sans publicité autour mais surtout dans l'espoir de découvrir un peu de neuf à son sujet, ce qui n'a pas été le cas. Dès lors, pourquoi différer plus longtemps le partage de mes quelques observations ?

Mes états d'âme

Un petit rappel des exemplaires découverts à ce jour de la première édition de cet ouvrage n'est peut-être pas inutile. Le regretté Lucien Biton qui fut le « découvreur » de l'ouvrage en trouva deux exemplaires. Un exemplaire ordinaire qu'il offrit au non moins regretté Noël Arnaud, et un exemplaire aquarellé à la main qu'il conserva dans sa bibliothèque. Patrick Fréchet, exécuteur testamentaire de Noël Arnaud, à qui je posais la question m'affirma qu'à la mort de ce dernier, l'ouvrage ne se trouvait plus dans sa bibliothèque. Sa trace est donc perdue, on ne sait rien de son état. L'exemplaire conservé par Lucien Biton servit aux reproductions des travaux du Collège de ’Pataphysique sur le sujet. Il est relié sans couverture. Il est soit resté dans la bibliothèque de sa compagne, soit passé dans celle d'un dignitaire du Collège.

Le troisième exemplaire, découvert par Pierre Saunier, servit de base à la réédition de Fornax. Il est broché et recouvert d'une couverture imprimée. Il est resté semble-t-il dans la bibliothèque du libraire.

Pierre Saunier aurait retrouvé un quatrième exemplaire orné d'un texte manuscrit de Jean Dayros. Je n'ai pas vu cet exemplaire, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas, mais je ne peux rien dire de son état ni de sa présentation.

L'exemplaire présenté ici, on en conviendra aisément, ne nous est pas parvenu dans le meilleur état possible, du moins en ce qui concerne la couverture. Le papier, très acide, est déchiré en plusieurs endroits et le dos a presque complètement disparu. Mais il nous permet de constater que plusieurs papiers différents ont été utilisés pour constituer cette couverture (l'exemplaire Saunier est couvert d'un papier de bien meilleure qualité) et que les couvertures du tirage n'ont pas toutes été imprimées. Ce qui conforterait plutôt l'hypothèse de la fabrication de quelques exemplaires en bonnes feuilles pour la presse, éventuellement les amis de l'auteur, et que le brochage de l'édition définitive n'a pas été entrepris.

Le destinataire initial de cet exemplaire ne semble pas faire partie des intimes de l'auteur ou alors, si tel est le cas, il s'agit d'un intime extrêmement critique à son égard. La preuve en est l'inscription manuscrite effectuée sur la première de couverture (le vieillissement de l'encre et la graphie de l'écriture nous prouvent que cette inscription peu amène est contemporaine au livre) : « L'idiotie / par un super-imbécile / (ne pas lire quand on a mal à /  la tête) / potion irritante (pas plus d'une / page par jour) / Horror! Horror! / Shakespeare : Macbeth) ».

Mes états d'âme

Ce destinataire initial, selon toute probabilité ou toute logique, pourrait être un critique littéraire ou un journaliste. Mais la nature de son identité est une question qui s'ajoute à toutes celles qu'on a essayé de résoudre et qui continuent à se poser tant que des documents formels ne viennent pas donner des renseignements sûrs. L'identification de son écriture par comparaison avec un document signé pourrait offrir une réponse à cette nouvelle énigme. Souhaitons qu'un heureux lecteur y parvienne.

Mes états d'âme

Mes états d'âme

Si la couverture de cet exemplaire est très abîmée, le papier du corps de l'ouvrage est de bonne qualité et, on le constate, s'est très bien conservé jusqu'à nous.

Vérification faite, cet exemplaire affiche, comme les deux autres consultés précédemment, la même et grave erreur d'imposition dans le premier cahier. Preuve, s'il est encore besoin de la donner, que ces exemplaires appartiennent tous au même tirage.

De même, la couture de brochage est de même nature que celle étudiée sur l'exemplaire Saunier. Elle est typique de celles que l'on exécutait pour réaliser rapidement à la main avant le lancement du brochage définitif, les exemplaires en bonnes feuilles à expédier à la presse.

Il est maintenant presque certain que dans les années à venir soient découverts d'autres exemplaires de cet ouvrage. Celui-ci est le quatrième (ou le cinquième) à avoir été retrouvé, on peut estimer à une dizaine ou un peu plus le nombre des exemplaires ainsi fabriqués.  On sait que le sort du livre auprès de la presse n'a pas été bien glorieux. Seul, à notre connaissance, le Mercure de France l'a annoncé dans ses vient de paraître. Mais cet exemplaire attesté prouve que le service de presse a bien été fait. Et il serait bien étonnant qu'il n'ait été fait qu'au Mercure.

On connaît le sort réservé aux exemplaires des livres envoyés aux rédactions des journaux et revues. Ils sont répartis auprès des différents rédacteurs en fonction de leurs spécialités. Que les articles soient écrits ou non, les ouvrages finissent par grossir les bibliothèques de ces derniers qui, régulièrement, font appel à des bouquiniste pour procéder à des ponctions de désengorgement. S'ils n'ont pas été détruits pour raison de manque de public, tous les exemplaires de service de presse sont donc passés sur le marché de l'occasion. C'est ainsi qu'on en a retrouvé quatre (ou cinq) que que d'autres réapparaîtront probablement.
 

Mes états d'âme

© 2011, Christian Soulignac, photos et texte.


Date de création : 27/05/2011 @ 20:54
Dernière modification : 18/07/2011 @ 18:22
Catégorie : - Fin-de-Siècle
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Réactions à cet article

Réaction n°6 

par John_Scum le 03/06/2011 @ 17:51

Cher Monsieur,

Je suis un peu gêné d'intervenir encore une fois pour vous dire qu'après tout la citation n'a peut être pas tant d'importance, puisqu'elle semble très en vogue vers cette époque. Dans la même concision (donc tronquée), Joseph Conrad la met dans la bouche de Kurtz dans "Au cœur des ténèbres", à l'agonie de ce personnage. Je connais mal vos traducteurs français de l'époque et il serait inconsidéré de chercher de ce côté-là, tant tout cela semble ténu.
N'ayant aucune espèce de compétence en la matière, je ne puis que rester court après tout cela.
Merci pour votre patience.

Réaction n°5 

par cls le 03/06/2011 @ 11:01

Cher John (notre échange de vues est suffisamment avancé me semble-t-il pour que je puisse m'autoriser cette familiarité),

Au vu de la citation complète de Macbeth, vous semblez donc croire qu'il est toujours possible que cette inscription soit de la main de l'auteur et vous privilégiez ma réponse n° 2 à la question à qui ? Pourquoi pas ? Ce qui me retient d'adhérer totalement à votre point de vue, c'est l'objection que j'avais faite dans ma réponse. Nous somme dans un cas de figure un peu particulier avec ce livre (ce qui en fait d'ailleurs tout son intérêt). Il semble prouvé qu'il n'en existe que quelques exemplaires réalisés à la main dans le but de les faire parvenir à des critiques littéraires et aucun exemplaire du tirage commercial. Dès lors pourquoi en distraire un. Cela dit on peut aisément imaginer que l'auteur ait fait réaliser deux exemplaires de plus que la quantité dont il avait besoin pour la presse. Un exemplaire pour lui et un exemplaire pour le complice-confident hypothétique. C'est tout à fait plausible. Si cette solution s'avérait, il ne resterait plus qu'à mettre un nom à cette écriture pour nommer de manière certaine l'auteur du livre. Mais cette solution s'avérera-t-elle un jour ?...

P.-S. Ne vous excusez pas de la minceur de votre pensée, elle ne l'est pas. Elle ouvre un nouveau champ d'étude autour de ce livre, ce n'est pas rien ! Et je ne puis que vous féliciter de votre élocution dans cette langue si elle n'est pas votre langue maternelle.

Réaction n°4 

par john_Scum le 02/06/2011 @ 16:31

(Je vous prie d'excuser ma pensée un peu courte, dans un language qui m'est assez peu familier)

Réaction n°3 

par John_Scum le 02/06/2011 @ 16:21

Cher Monsieur,

Vos arguments sont intéressants, comme le contenu de l'essai à la suite de votre réédition.
Je me permets de vous indiquer toutefois que la citation de Shakespeare, "Horror, horror", incomplète, peut alimenter l'idée que l'origine en est bien l'auteur. La voici dans son intégralité en français :
MACDUFF. - Ô horreur ! horreur ! horreur ! Il n'est ni langue ni cœur qui puisse le concevoir ou le nommer ! (Traduction : François-Victor Hugo)
Ce qui vaut après tout pour une signature, car cela revient à se déclarer anonyme d'une façon fort élégante : "qui ne puisse le concevoir ou le nommer", envoi sans doute destiné à un complice, pourquoi pas ?

Réaction n°2 

par cls le 02/06/2011 @ 12:03

à John Scum (êtes-vous réellement la racaille que vous affirmez être ?)

Certes – pour reprendre votre troisième mot –, certes l'idée pourrait venir puisque cet ouvrage est placé sous le signe du pastiche, de la fantaisie et du canular que l'auteur soit son propre détracteur. Idée intéressante mais résiste-t-elle aux tentatives d'analyse ? Voyons...
Prendre cette hypothèse comme point de départ provoque un certain nombre de questions dont la principale est bien évidemment : pourquoi ? Suivent : quand ? à qui ? Et, peut-être plus anecdotique : pourquoi sur cet exemplaire ?
Notons avant toute tentative de réponse que le ton de ces quelques mots fait plus penser à une réaction épidémique de lecteur en situation d'exaspération post-lectoriale qu'à un envoi à contre-pied. Mais passons.
Nous tenons pour acquis que cet exemplaire fait partie du petit nombre d'exemplaires en bonnes feuilles fabriqués à la main. Il va sans dire que l'auteur ne saurait « gâcher » aucun de ces rares exemplaires dont le but est de provoquer une information autour de la sortie du livre et une critique si possible positive.

À qui ? Trois réponses possibles: 1 - à l'auteur lui-même, 2 - à un ami (éventuellement critique), 3 - à un critique non-ami.
1 - exemplaire d'auteur. Plausible mais très improbable. Les auteurs, même fantaisistes, s'auto-envoient rarement leurs livres. De plus même si nous sommes dans ce cas, le texte de l'envoi manque de cette ironie qu'on attendrait dans une telle circonstance.
2 - à un ami. Possible s'il s'agit d'un intime au courant du pastiche depuis le début. Mais alors pourquoi lui offrir un des rares exemplaires en bonnes feuilles et manquer ainsi une possibilité de critique. L'intime peut attendre un peu la réalisation du tirage définitif.
3 - à un critique. Peu probable encore. Pourquoi risquer une mauvaise critique ou pas de critique du tout en faisant parvenir à un journaliste un ouvrage qui se dénigre lui-même. Pour provoquer un choc et une curiosité ? Même en ces temps (1904) où l'inflation des publications n'était pas encore à son comble, les journalistes littéraires n'avaient pas de temps à perdre. Il est évident qu'ils auraient écarté un tel ouvrage sans même le lire (effectivement, si nous étions dans ce cas de figure, nous aurions une belle et bonne explication au sujet du manque total de critique sur le livre. Mais il aurait fallu une bonne dose de réelle stupidité doublée de masochisme à l'auteur pour procéder ainsi).
Question subsidiaire à 2 et 3 : Pourquoi ne pas signer ce texte s'il s'agit d'un envoi ? Soit avec le nom de l'auteur, soit avec une mention générique du type : l'auteur.

Quand ? Deux réponses possibles. 1- au moment de la sortie, 2 - plus tard.
1 - au moment de la sortie. Les tentatives de réponses à À qui ? posent qu'il n'y a pas de réelle raison à écrire un tel texte sur la couverture.
2 - plus tard. Une possibilité logique si le destinataire est l'auteur lui-même. Les exemplaires en bonne feuilles ont été expédiés. Ils n'ont donné aucun écho. L'auteur, un peu aigri d'une telle situation car il espérait intéresser, faire sourire, voire même faire rire prend l'exemplaire qu'il s'était réservé sur un rayonnage de sa bibliothèque et y décharge sa bile et son dépit. Oui, mais pourquoi aurait-il gardé pour lui un exemplaire réservé à la presse ? C'était une possible critique en moins.

Pourquoi ? Les réponses au pourquoi se trouvent dans les tentatives de réponses au À qui ? et au Quand ?

Pourquoi cet exemplaire ? La réponse la plus plausible aux questions que pose cet exemplaire s'il est revêtu d'un texte de l'auteur reste qu'il s'agit qu'un exemplaire conservé par l'auteur et orné a posteriori d'un texte atrabilaire. Mais s'il s'agit d'un exemplaire conservé par l'auteur, pourquoi n'a-t-il pas choisi de conserver un exemplaire doté d'une couverture imprimée comme celle de l'exemplaire Saunier ? Il aurait eu alors un exemplaire dans son état définitif ce qui semble logique pour un auteur même si sa vanité ne se double pas de pulsions bibliophiliques.

Après avoir étudié honnêtement (du moins je le pense) toutes les possibilités qui auraient pu faire naître un exemplaire de l'ouvrage revêtu d'un tel texte de son auteur, il m'apparaît qu'il est beaucoup plus probable et logique d'imaginer que ce texte n'est pas de la main de l'auteur... Merci, mystérieux John Scum, d'avoir posé cette hypothèse qui m'a permis d'en tenter la réfutation. La discussion reste néanmoins ouverte et la contradiction autorisée.

 


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