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Maurice Fourré
Le lecteur curieux finit toujours, quand il a un tant soit peu de chance ou d'opiniâtreté, par rencontrer sur sa route l'auteur qui aura tout fait, souvent sans le savoir, pour provoquer la curiosité. Ainsi en a-t-il été quand, sur les rayonnages d'une librairie amie, j'ai tiré vers moi le dos rose orné d'une tour phalique qui m'avait attiré l'œil par sa couleur peu commune rompant avec l'harmonie blanc-brunâtre du mur. Ce fut mon premier contact avec La Nuit du Rose-Hôtel. Un grand merci au passage à Pierre Faucheux qui conçut cette couverture attirante et me servit ainsi de truchement avec Maurice Fourré.
L'ouvrage était le premier volume de la collection Révélation qu'André Breton dirigeait chez Gallimard. Breton ne dut pas avoir beaucoup d'autres révélations après ce Rose-Hôtel car l'ouvrage passa du statut de premier volume de la collection à celui d'unique titre. Grâce toutefois lui soit rendue à la suite de Faucheux car cette publication fut à l'origine d'un enchantement de lecture chez moi. Le style si particulier de Maurice Fourré, fait de coruscances fin-de-siècle mêlées de poésies verslibristes, de dialogues au rasoir, de froides notations scénaristiques, de miniardises sournoises, d'afféteries calculées et de noirceur brochant sur le tout avait fait une conquête de plus. Rapidement je me procurais — sans grande difficulté, d'ailleurs — les autres ouvrages publiés de Maurice Fourré, tous deux dans la « blanche » de Gallimard : La Marraine du Sel et Tête-de-Nègre.
Nous étions à la fin des années 1970 (fin 1978, début 1979...), le hasard de la fouille dans une caisse de SP (lire services de presse : ouvrages que les éditeurs envoient aux journalistes littéraires afin qu'ils en rendent compte et dont les journalistes se débarrassent régulièrement chez les bouquinistes pour conserver la possibilité de rentrer chez eux), me fit découvrir, adorné d'une dédicace de l'auteur, le Maurice Fourré, rêveur définitif de Philippe Audoin, joliment édité par Di Dio au Soleil Noir, qui m'initia à la vie de Fourré, et me révéla l'existence de son quatrième roman, Le Caméléon mystique dont il publiait de larges extraits. Ce dernier titre sera repris dans son intégralité quelques années plus tard chez Calligrammes, revêtu hélas d'une couverture à faire fuir.
Outre la qualité de son écriture, l'originalité littéraire de Fourré réside dans la répartition temporelle de son œuvre. Quelques nouvelles de jeunesse écrites (et publiées ?) dans le XXe siècle de l'avant Première Guerre Mondiale, suivies d'une carrière de romancier inaugurée en 1950 à l'âge de 74 ans. Entre ces deux périodes, rien d'autre que la vie.
Mes relations avec Fourré auraient pu s'en tenir là, dans un rapport consenti auteur-lecteur, et la présente et banale relation de faits n'aurait eu aucune raison d'exister si le hasard, ce vieux complice, n'en avait décidé autrement.
Au seuil des années 1980, je passais beaucoup de temps à la Bibliothèque nationale pas encore de France, rue de Richelieu ou annexe de Versailles, à travailler sur les œuvres de jeunesse, et autres, de Rachilde (1860-1953), femme de lettres à la réputation sulfureuse et future madame Alfred Vallette, premier directeur du Mercure de France (série moderne). Il ne me fut pas trop difficile, dès lors que j'étais en la place, pour me distraire un peu des dépouillements systématiques de journaux et de revues autour de la jeune écrivaine, de traiter ponctuellement d'autres sujets de recherche. C'est ainsi qu'après une relecture de la préface de Breton à La Nuit du Rose-Hôtel, je partis vers la BN avec la ferme intention de retrouver au moins l'une des nouvelles de jeunesse de Fourré dont la piste semblait très facile à suivre d'après ses indications : « Entre cette année 1907 où René Bazin [...] introduisait à la Revue hebdomadaire une nouvelle de M. Maurice Fourré [...] » En moins de deux heures je trouvais et je photocopiais la nouvelle en question, Patte-de-Bois. Lecture sur photocopie le soir même ; déception le soir même. Amoureux de l'écriture de Fourré, j'avais bien sûr eu dans l'idée de publier le texte retrouvé. Le style naturaliste mal fagoté de Patte-de-Bois et sa thématique « roman popu » à la Montépin n'eurent rien pour me plaire. Je revins à mes recherches sur Rachilde en me promettant toutefois de me pencher à nouveau sur les primes nouvelles de Fourré.
Quelques mois plus tard je fus contacté par Jean-Pierre Guillon. Est-ce que je connais Fourré ? Attention, pas confondre avec Fourest – Je connais et je ne confonds pas les blondes négresses et les tête-de-nègre. – Est-ce que j'apprécie Fourré ? – Beaucoup. – Est-ce ça me dirait de publier une nouvelle du monsieur ? – J'en avais l'intention depuis quelques temps. – Justement j'en ai une sous le coude... – Qui s'intitule ?... – Patte-de-Bois... – Non merci.
Quelques autres mois passèrent pendant lesquels, je l'appris par la suite de sa bouche, Jean-Pierre Guillon, de son Ouest de villégiature, avait missionné par courrier un fin limier de la BN afin qu'il lui trouvât d'autres juvelilia de Fourré. Bon chasseur, le fin limier trouva et rapporta à Guillon qui derechef me recontacta. J'en ai une autre ! – Merveille ! Et elle s'appelle ? – Une Conquête. Je lus et fus conquis. Une écriture plus épurée que celle que je lui connaissais dans les romans, très belle, presque stendhalienne, et une cruelle histoire d'amour digne des petits maîtres du Romantisme, peut-être même des grands.
Le texte accepté, il fallait faire naître le livre. Un beau texte dans un méchant livre perd de son attrait tout comme un bel homme dans un mauvais costume. Il me fallait tailler sur mesure le costume de cette nouvelle. Composée à la Monotype, une typographie simple, qui ne se met pas en avant, un dessin de lettre qui se lit sans difficulté : je choisis d'utiliser du Times. C'était avant que l'ordinateur individuel n'envahisse totalement la planète et impose deux caractères, dont celui-ci, comme des tartes à la crème typographiques.
Seule incartade hors du Times, le caractère choisi pour le titre, l'Auriol champlevé, est contemporain de l'écriture du texte. Il est utilisé pour créer une typographie bicolore. Des marges assez belles sans être gigantesques offrent un empagement confortable sans être ridiculement bibliophilique. Des teintes éteintes et surannées en harmonies de vieux rose, de mauve et de violet nous font rêver au passé comme ces fleurs séchées aux couleurs presque disparues que l'on retrouve au hasard du feuilletage des vieux dictionnaires. Un vergé Ingres chiné vieux rose pour l'intérieur, un Mille-Raies bois-de-rose de couverture pour le clin d'œil au passé déjà évoqué mais aussi pour le Rose-Hôtel. Le fil de couture qui n'existait pas naturellement dans la couleur désirée, fut teinté pour passer du lilas blanc au lilas lilas. Pas d'ornementation à l'exception de deux vignettes florales et de la reproduction de dessins de Maurice Fourré dans le léger (dans le sens non pesant) appareil critique que Jean-Pierre Guillon eut le bon goût d'adjoindre au texte de la nouvelle. La couverture se trouve être en réalité une jaquette qui enserre la couverture réelle, muette, dans le même papier. Une astuce la caractérise : les plis des rabats et du dos sont marqués d'un filet violet. C'est évidemment pour l'esthétique, mais c'est aussi un rainage qui favorise le pliage du papier au bon endroit.
La fabrication (pliage, assemblage, couture) était terminée depuis peu que Pierre Laurendeau, l'ami des éditions Deleatur, et son épouse Agnès m'invitaient tous les deux à Angers, ville natale de Fourré, pour y présenter la Conquête. La chose était programmée dans une librairie. J'avais, pour l'occasion, imprimé des bandes pour le livre. Mais je n'eus pas à m'en servir car le proverbe qui affirme que nul n'est prophète en son pays se révéla une fois de plus d'une justesse effarante. Fourré ne se vendit en sa ville qu'à deux ou trois exemplaires. Il me restait, pour me consoler, l'amitié de Pierre et Agnès Laurendeau, j'en profitai à domphe pendant tout mon séjour.
Longtemps, longtemps, longtemps après, lors du concours qui la consacra un des Meilleurs Ouvriers de France en reliure (il n'est pas prévu de féminin pour cette appellation, nouvelle preuve, s'il en est besoin, du sexisme de notre langue) Catherine Chauvel choisit Une Conquête pour exécuter l'une des figures imposées par les organisateurs : un bradel souple demi-peau. Convoqué pour venir voir le travail terminé je ne pus qu'apprécier l'état d'esprit de cette reliure face au livre qui s'accordait en tous points avec l'état d'esprit que j'avais voulu donner au livre face au texte.
CLS
septembre 2012
George Auriol
sur l'ultime création
de M. Pullmann
20 pages,
format 11,2 x 13 cm.
tirage à 100 exemplaires en typographie.
CLS
Un volumen,
79 cm de long, 17,5 cm de haut.
tirage à 10 exemplaires en linogravure.
Marie-Rose de France
26 petits textes en proses poétique. Vignettes de CLS.
tirage à 120 exemplaires en typographie au plomb.
Pierre Pinelli
24 pages,
format 15 x 20 cm.
tirage à 100 exemplaires en typographie au plomb.
... pour ceux qui auraient la flemme de chercher.
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