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Quand tous concourent à la monstruosité, éditeurs,
brocheurs ou relieurs, libraires & amateurs :
les grands papiers
Bien sûr, tout commence chez l'éditeur. Avec l'appât du gain et la stupidité en prime. Pour payer l'achat du papier de l'édition, ou une partie de ses frais, l'éditeur imprime (ou fait imprimer) un nombre limité d’exemplaires d'un livre sur un papier plus beau que celui de l'édition courante, c'est ce qu'on appelle les exemplaires de tête. Ils sont vendus plus cher, ce qui est normal en raison de leur relative rareté. Jusque là rien de répréhensible ni de stupide. Tout le monde y trouve son compte. Les éditeurs qui gagnent un peu d'argent. Les amateurs qui ont la fierté de posséder un ouvrage rare. Jusqu'aux bibliothécaires et conservateurs qui apprécient la plus grande solidité et la plus grande durabilité des papiers de luxe choisis. La dérive et la stupidité viennent après. Les feuilles des papiers de luxe utilisés pour faire les exemplaires de tête n'ont pas toujours le même format que celles du papier utilisé pour les exemplaires ordinaires. La logique voudrait qu'on choisisse deux formats de feuilles égaux ou que l'on coupe le papier de luxe au même format que le papier ordinaire. Ce serait trop simple. On ne prend, bien sûr, jamais du papier de luxe dont le format est inférieur à celui du papier ordinaire. Ce qui serait ridicule, on ne pourrait pas fabriquer l'ouvrage, ou pis on risquerait d'imprimer dans le vide. Mais si le papier est plus grand, même beaucoup plus grand, il est parfois décidé de ne pas le recouper et on imprime sur ce papier plus grand. C'est ce qui est à l'origine des grands papiers. Les feuilles imprimées sont apportées chez le brocheur qui ne peut faire autrement que de les plier de la même façon que les feuilles de tirage sur papier ordinaire, ce qui conduit à créer des feuilles pliées (des cahiers) dont certaines parties sont au format réel du livre et dont d'autres en dépassent peu ou prou, tout dépend de la différence de format entre les deux papiers. Maintenant, pour mieux être compris, prenons un exemple.
On ne parlera pas ici de la qualité littéraire de cet ouvrage (qui, au demeurant, est excellente) mais de son aspect. À première vue, ici, rien d'effrayant. Une petite déchirure sur le dos, les inconvénients de l'âge. Quelques pliures disgracieuses toutefois dans la partie inférieure de la couverture.
C'est lorsqu'on regarde l'ouvrage de dessus que l'on commence à voir les choses. On s'aperçoit aisément des deux dimensions différentes des pages. La plus courte étant la dimension normale de l'ouvrage. Dans le cas présent, l'éditeur à choisi de masquer cette augmentation du format du livre en imprimant des couvertures dont les dimensions augmentées tiennent compte des parties dépassantes. Ces dépassement, bien que visibles, étant d'une proportion raisonnable, le livre garde encore un aspect correct.
Du moins quand le livre est entrouvert. Car dès qu'on tente de le refermer, les parties dépassantes entourées de vide peuvent se déformer, se courber comme on le voit ici. Ce qui n'est pas du meilleur effet pour un ouvrage de luxe. On a affaire ici à la partie supérieure de l'ouvrage, la tranche de tête comme disent les professionnels.
Là où ça se gâte vraiment, c'est lorsque les cahiers dépassent aussi dans la partie inférieure du livre (tranche de pied disent les imprimeurs, tranche de queue disent les relieurs). Comme le livre au repos est rangé verticalement dans la bibliothèque, l'ouvrage s'abîme obligatoirement, ou bien alors on le range la tête en bas ce qui, on l'avouera, n'est pas très naturel ni très pratique si l'on n'est pas rompu à la lecture du dos du livre la tête en bas. Prenons maintenant un autre exemple.
Un grand papier encore mais deux caractéristiques le font un peu différer du précédent. La couverture est au format réel du livre (celui des exemplaires ordinaires) et le papier dont on s'est servi pour elle n'est pas encollé et lisse comme celui utilisé pour l'ouvrage précédent. Il est plus mou, plus vaporeux, plus aéré, plus buvard. Quelques conséquences à ces choix de nature et de format de papier de couverture. Outre le fait que cet exemplaire a été conservé dans le passé dans un endroit humide, ce qui a eu pour conséquence de le consteller de taches de rousseurs, la nature du papier de couverture fait qu'il accroche bien la poussière et qu'il refuse de la rendre en totalité même sous l'effet d'un radical gommage, et son format laisse dépasser l'intérieur de l'ouvrage qui ainsi s'empoussière de la même façon.
Un gros plan du livre permet de mieux remarquer les taches de rousseurs, les auréoles de mouillure et la poussière. Passons au livre suivant.
Avec ce troisième ouvrage, le grand papier affirme en plein son ridicule. La couverture s'allonge pour tenter de couvrir les dépassants mais sans arriver à ses fins. La ligne plus claire sur son côté droit dessine, avec les trois autres côtés le format réel de l'ouvrage. Elle permet de constater que les parties dépassantes du format ordinaire ont une dimension à peu de chose près égale en largeur à celle de l'ouvrage en son état normal.
Vu de dessus, l'impression générale n'est pas meilleure et le ridicule tout aussi achevé. Passons enfin au dernier exemple de cette courte étude.
Avec lui, le relieur a apporté sa contribution au ridicule. Pourtant, au premier coup d'œil, tout semble normal. La reliure, demi-peau à bande, semble remplir ses bons offices de protection du livre. Que lui demander de plus ? L'ouvrage semble un peu massif, carré, mais il n'est pas le seul dans son cas... Si l'on regarde de plus près, toutefois, on s'interroge sur la courbure étonnante des côtés supérieur et inférieur du plat.
L'ouvrage vu de dessus, le doute n'est plus possible, on a bien affaire à un grand papier relié. La partie normale du livre permet, aux plats de reliure de se conserver comme avec toute reliure ordinaire mais la partie dépassante ne maintient plus rien et le carton des plats finit par se déformer, n'étant pas tenu, et prendre la forme d'un gauche fuseau.
Vue du dessous, la situation n'est pas meilleure et les épidermures débutantes contribuent à donner au livre son aspect bancal et maladif.
Que dire de plus sur les grands papiers. Que ces objets bibliophiliques non identifiés sont des aberrations, tout le monde l'aura compris. Que faire, maintenant face à eux ? Plusieurs solutions s'offrent à nous. Si on les voit chez un libraire, ne pas les acheter. Si le mal est déjà fait et qu'on a une sainte horreur de modifier quoi que ce soit dans l'apparence d'un livre, le cacher dans le fond d'un placard et ne plus jamais l’en sortir. Si l’on ne répugne pas aux modifications, couper tout ce qui dépasse. L'ouvrage s'en trouvera ragaillardi, il sera redevenu un livre ordinaire, lisible.
CLS
novembre 2010
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