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George Auriol
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Des bonnes feuilles aux épreuves

Depuis que l'édition est passée du stade artisanal à celui d'industriel et que la presse s'est vue dotée d'une parole plus ou moins libre, la première envoie ses productions à la seconde pour qu'elle en parle. Il s'agit d'informer pour vendre, nous ne sommes pas loin de la publicité mais appelons cela encore : critique littéraire. Pour ce faire, bien sûr, il convient que le journaliste critique puisse recevoir l'ouvrage à critiquer avant que l'édition ne soit proposée au public d'avides lecteur. Il faut lui donner le temps de lire, d'assimiler le texte et de produire son article pour la sortie du livre. Comment cela se passe-t-il en pratique ? On ne va pas retenir une édition complète en la stockant, ce serait une perte de temps et d'argent. La solution retenue à la fin du XIXe siècle était la suivante. On prélevait chez l'imprimeur quelques exemplaires des premières feuilles d'impression du livre et on les pliait à la main alors que le tirage se déroulait. Au début du tirage de la dernière feuille de l'ouvrage quelques exemplaires étaient ainsi constitués, rapidement cousus et revêtus d'une fausse couverture (couverture passe-partout, couverture muette) et envoyés à la presse alors que le tirage se terminait. C'était les bonnes feuilles.

Bonnes feuilles

Ci-dessus, un exemplaire en bonnes feuilles du roman La Papesse Jeanne, d'Emmanuel Rhoïdès dans la traduction d'Alfred Jarry et Jean Saltas, chez Charpentier-Fasquelle en 1908. La couverture est préimprimée laissant en blanc auteur et titre, elle peut servir pour tout titre en partance vers le public. Les mentions d'auteur et de titre sur le dos de l'ouvrage sont manuscrites. L'acidité du papier utilisé à l'époque explique l'état pitoyable de cette couverture. On notera que la date a été soigneusement grattée dans le bas du premier plat. Suppression par l'éditeur (ou l'imprimeur) pour cause de changement d'année ou bricolage de libraire d'ancien lors de la seconde vie de l'exemplaire ? Difficile à dire.

Quand la pratique d'envoi des nouveaux titres aux journalistes devint systématique et que le nombre de journaliste à doter d'un tel service devint plus important, une partie des exemplaires du premier tirage de l'ouvrage fut réservée à cet usage. C'était (et c'est toujours) le service de presse. Ces exemplaires réservés étaient soit des exemplaires ordinaires identifiés par une marque spécifique à chaque éditeur (timbre humide sur la couverture ou la page de garde, perforations, etc.) soit dotés de couvertures imprimées spécialement.

Mercure de France

Ci-dessus, un exemplaire de service de presse des Nouveaux Dialogues des Amateurs sur les choses du temps de Remy de Gourmont, Mercure de France, 1910. L'exemplaire est, en outre, doté d'un envoi de l'auteur (journaliste lui-aussi, entre autres qualités) à un confrère et ami : « à Octave Uzanne en fervente amitié. Remy de Gourmont » mais ce n'est pas cela qui nous préoccupe aujourd'hui. La marque du service de presse au Mercure de France est constituée par les deux lettres M. F. perforées sur la couverture dans le coin supérieur droit.

D'autres éditeurs pouvaient préférer les timbres humides (communément appelés par erreur : tampons), le plus souvent marqués : « S. P. » ou « service de presse » ou des timbres à sec qui créent un relief sur la couverture.

Baudinière

Ci-dessus, un exemplaire de Mon étrange plaisir de Rachilde, Baudinière, 1934. L'exemplaire est revêtu d'une couverture spécialement imprimée pour le service de presse comme on peut le constater grâce à la mention « S. P. » dans le bas du dos. Cet exemplaire n'est augmenté d'aucun envoi de l'auteur à un journaliste, ce qui peut vouloir dire que Rachilde n'était pas à Paris lors de l'expédition du service de presse ou qu'elle ne connaissait pas suffisamment le plumitif pour l'honorer de son paraphe. La pratique de l'envoi de l'auteur au destinataire était (est) courante pour s'attirer la bienveillance du journaliste.

Le service à la presse reste toujours vivace de nos jours et les journalistes spécialisés dans l'actualité livresque croulent parfois sous l'avalanche des nouveautés qui se succèdent de plus en plus rapidement.

Mais les pratiques en la matière évoluent tout comme le reste des activités humaines. De nouvelles façons de faire, expéditives, apparaissent grâce aux progrès technologiques. Il est possible désormais, grâce à l'impression numérique, d'imprimer à coût raisonnable des exemplaires à l'unité ou en très petite quantité. Dès lors, le service de presse revient à faire effectuer une manière de pré-tirage avant impression dans des procédés plus traditionnels. Une avancée, oui, à quelques détails près...

Plon

Ci-dessus, un exemplaire d'un roman à paraître : Le Général Enfer d'Alec Covin, Plon, 2011. Comme sa couverture nous l'apprend, il ne s'agit pas de bonnes feuilles, ni d'une exemplaire définitivement stabilisé et imprimé mais d'épreuves non corrigées. Pauvres journalistes ! Ils vont maintenant devoir subir toutes les fautes de syntaxe et d'orthographe de l'auteur, les égarements du ou de la maquettiste et les oublis de l'éditeur... La rançon du progrès. Un seul point positif dans cette catastrophe, on se rendra compte enfin de la réelle utilité des correcteurs... si l'éditeur en a conservé dans son personnel.

Published on 31/01/2011 @ 22:22   All the posts   Preview   Print...   Top


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